05 avril 2018

La tragique beauté de la rue

Le Père Michel Lessard, jésuite canadien, vient de passer quelques semaines comme bénévole au CHRS Forbin de la Fondation Saint Jean de Dieu. Il nous livre ici son témoignage.

Voilà longtemps que je ne me suis pas trouvé en service auprès des personnes en situation de précarité sociale. Ma formation professionnelle d’éducateur de rue en service social auprès des jeunes de la rue à Montréal m’avait déjà initié à ce type d’engagement. Mais près de 25 années s’étaient écoulées entre cette période de ma vie et mon stage comme bénévole à l’Accueil de nuit Forbin de Marseille.

Je ne cacherai pas que je me suis trouvé en difficulté au début de mon stage, en janvier. Je voulais me montrer toujours prêt au service, souriant et faisant bonne figure. Mais je ne savais trop comment faire et je n’y arrivais pas. Un jour, un peu découragé, alors que je marchais dans la rue, je fis une rencontre fortuite : un homme « itinérant » (SDF) qui fréquentait Forbin m’a reconnu et m’a invité à prendre un café. Cet homme a senti qu’il pouvait parler de ses préoccupations et de ses difficultés en toute confiance avec un membre du personnel de Forbin.

Ce jour-là, je me suis senti soulagé et heureux d’être ainsi identifié et accueilli par un homme qui était lui-même accueilli par le Centre d'hébergement Forbin. A travers cette première expérience, j’ai commencé à découvrir ce qui faisait la richesse de cette institution : être simplement soi-même, sans avoir besoin de porter les masques de bonté ou de bonheur ; être disponible pour quiconque sent le besoin de parler en toute confiance avec quelqu’un qui le respecte dans son humanité.

À Forbin, j’ai compris qu’il était difficile d’agir avec l’intention secrète de vouloir bien paraître devant les autres : les masques tombent rapidement ! J’ai compris qu’il était également difficile d’agir avec le dessein de s’accomplir personnellement en voulant faire plaisir aux autres à tout prix. Là aussi, à Forbin, cette intention cachée n’a pas sa place : c’est un bon endroit pour purifier son coeur, comme on dit. Et pour le coup, j’y ai vécu une excellente « purification »... dans le bon sens du terme.

Une fois que les masques de la recherche de soi sont tombés, l’accueil inconditionnel des personnes dans le besoin peut commencer ; le véritable don de soi peut alors se déployer dans toute son authenticité. Être simplement soi-même, sans porter en permanence les masques de bonté ou de bonheur, permet de découvrir la tragique beauté de la rue qui est teintée d’humanité, de don de soi et d’authenticité. Voilà certaines des valeurs vécues à Forbin. Elles m’ont appris à devenir, je l’espère, un meilleur humain.

Mon stage de bénévolat à Forbin fut pour moi un cadeau: c’est pourquoi je tiens à remercier tous ces hébergés, connus et anonymes, qui fréquentent cette institution et qui ont su me donner de grandes leçons d’humilité et d’humanité. Je remercie également les Frères hospitaliers de Saint Jean de Dieu, la direction, les salariés et les bénévoles : vous m’avez chaleureusement accueilli au sein de votre Famille hospitalière et vous m’avez enseigné l’authenticité dans la relation d’aide entre vous et auprès des plus démunis de notre société.